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Interview de Jacques Tardif

Extraits d'une entrevue donnée par Jacques Tardif et reproduite dans l'ouvrage L'évaluation des compétences, Documenter le parcours de développement :

Si un lecteur - concepteur, enseignant ou professeur - voulait avoir deux ou trois balises pour "survivre" à l'évaluation des compéteces, quelles seraient vos suggestions ?

Si, un jour, on me posait cette question à la suite d'une conférence ou dans une activité de formation, je répondrais qu'il est impossible de survivre à l'évaluation des compétences avec deux ou trois balises, et qu'il serait préférable de ne pas s'engager dans un programme axé sur le développement des compétences dans cette logique. Les changements exigés par l'adoption de programmes par compétences sont nombreux et particulièrement exigeants. Leur banalisation fréquente contribue malheureusement à ce que des formateurs ne perçoivent pas l'ampleur de la tâche. [...]

Le modèle cognitif de l'apprentissage est une idée sur laquelle vous revenez sans arrêt et que vous placez au coeur de vos propositions en matière d'évaluation de compétences. [Est-il indispensable ?]

[...] L'absence de modèles cognitifs de l'apprentissage cause une multitude de problèmes aux enseignants et aux professeurs et, pis encore, contient les germes de l'échec des programmes axés sur le développement de compétences.

Je soulignerais trois catégories de problèmes :

  1. Des problèmes qui se manifestent au moment de l'élaboration même des programmes. Il est fréquent que des concepteurs retiennent des compétences dont le libellé et l'orientation rendent difficile, voire impossible, la mise en oeuvre de situations d'apprentissage pouvant influer sur leur développement et de situations d'évaluation pouvant documenter les apprentissages en lien avec ces compétences. 
  2. Des problèmes qui se manifestent sur le plan du niveau de développement attendu au terme de diverses phases de formation. [Certains] référentiels de compétences sont (parfois] totalement irréalistes. Cet irréalisme résulte de l'absence de modèles cognitifs de l'apprentissage et il est plus manifeste dans des compétences dites "transversales" ou "génériques" que dans des compétences disciplinaires ou professionnelles.
  3. Des problèmes qui surviennent au moment de l'évaluation des apprentissages. Sans de tels modèles, les formateurs doivent recourir à des balises floues pour rendre compte des apprentissages [...] de leurs étudiants. En réalité, ils n'ont pas une idée précise des étapes de développement de la compétence, et on leur demande d'apprécier ce développement.   

L'un des rôles cruciaux des modèles cognitifs de l'apprentissage est de préciser des apprentissages critiques, des apprentissages qui marquent un passage, une réorganisation cognitive ou l'intégration de nouveaux principes ou de nouvelles règles. Si un formateur ignore ces apprentissages critiques, comment peut-il rendre compte de l'évolution de la compétence ou d'un parcours de développement ? Malheureusement, faute de modèles cognitifs de l'apprentissage, il est souvent contraint de compter des fréquences ou de faire varier des quantités. 

En considérant diverses expériences d'implantation de programmes par compétences, quelles sont les principales lacunes que vous notez maintenant sur le plan de l'évaluation des compétences ?

[...]

  1. Des programmes par compétences dans lesquels régulièrement, parfois constamment, on évalue les ressources en elles-mêmes et pour elles-mêmes sans considérer leur usage dans une perspective de mobilisation et de combinaison. Dans ces contextes, les formateurs expriment très osuvent leur jugement dans un langage quantitatif, et force est de constater que, dans les ressources, seules les connaissances sont l'objet d'évaluations. Cette lacune me semble la plus fréquente.
  2. Des programmes par compétences dans lesquels [...] les étudiants ne reçoivent aucune appréciation par rapport aux compétences contenues dans le référentiel à la base de ces programmes. les compétences ont été utiles dans l'élaboration du programme, elles sont transmises à titre de renseignement comme étant au coeur du programme, mais leur développement en tant que tel n'est jamais évalué. Dans ces contextes, on évalue des ressources, des situations, des composantes... C'est une lacune très fréquente, notamment en milieu universitairen. cette lacune s'observe souvent aussi dans le cas des compétences dites "transversales" ou "génériques".
  3. Des programmes par compétences dans lesquels des évaluations sont réunies post facto pour établir une progression. Ces évaluations ne sont pas planifiées dans l'optique de circonscrire une trajectoire de développement ou un parcours et elles ne peuvent pas assurer une appréciation juste et valide de trajectoires ou de parcours. [...]
  4. Des programmes par compétences dans lesquels les rendre compte constituent des listes interminables d'apprentissages tous aussi détaillés les uns que les autres. On est ici à l'inverse de la logique des compétences qui visent une intégration maximale de ressources internes et externes en accordant une attention particulière aux situations. [...]

Compte tenu de vos expériences et de vos connaissances par rapport aux programmes par compétences, quel est, selon vous, l'avenir d eces programmes dans les institutions scolaires ?

[...]

Je pense que les progralles par compétences connaîtront un essor remarquable dans les milieux postsecondaires : dans les universités, [...], dans les hautes écoles spécialisées. Déjà, dans plusieurs institutions, on observe l'élaboration et la mise en oeuvre de programmes "audacieux", clairement orientés vers le développement de compétences, qui donnent des résulats très positifs. En outre, les étudiants manifestent un haut degré de satisfaction en considérant les retombées de ces programmes sur leurs apprentissages, dans la majorité des cas, sur leur professionnalisation. Je reconnais icique les équipes de formateurs qui visent la professionnalisation des étudiants s'orientent plus rapidement vers des programmes par compétences que les équipes de formateurs qui déclarent "former pour autre chose".

J'estime donc que les programmes axés sur le développement de compétences sont voués à un avenir prometteur dans les institutions postsecondaires. J'ose affirmer que les programmes dits "non professionnalisants" serot fortement influencés par le développement de compétences en raison notamment de ka conception de l'apprentissage qui a cours dans les programmmes par compétences et, peut-être, de la pression des étudiants.

[...]

???

[...] L'adoption de programmes axés sur le développement des compétences n'impose pas, loin s'en faut, l'omniprésence des projets ni la pédagogie de la découverte. Personnellement, j'estime que la pédagogie de la découverte et un programme par compétences constitue un couplage fort douteux, certainement très peu prometteur sur le plan de l'apprentissage. l'une des causes de ces deux dérives provient du sens donné au constructivisme ou au socioconstructivisme. selon certaines interprétations, on peut penser que le "maître" constructiviste ou socioconstructiviste n'a plus le droit à la prise de parole en classe. Pour ma part, je ne perçois pas de relations bijectives entre l'approche par compétences et le constructivisme ou le socioconstructivisme. [...]    

[...] L'adoption de programmes axés sur le dévleoppement de compétences impose une transformation radicale des pratiques pédagogiques et des pratiques évaluatives. Elle impose aussi une nouvelle organisation du travail des enseignants [...] et des étudiants. [...] On n epeut donc pas faire l'économie d'expliquer ces programmes et la nature des changements qu'ils provoquent, ni de fournir des preuves de leurs impacts.

Source : Tardif, L'évaluation des compétences, Documenter le parcours de développement, Chenelière Education, 2006, pp.340-349